La base industrielle et technologique de défense « dans l’oeil du cyclone » et donc « en danger » (1/3)

La base industrielle et technologique de défense « dans l’oeil du cyclone » et donc « en danger » (1/3)

Le programme Rafale est un exemple de ce que sait produire la Base industrielle et technologique de défense (BITD).

Un rapport du Sénat appelle le gouvernement à maintenir un effort de défense substantiel sous peine de voir disparaitre des pans de la base industrielle et technologique de défense, la fameuse BITD, un des instruments de souveraineté de la France.

« Ce rapport se veut un cri d’alerte, non pas sur le très court terme, mais sur des perspectives de moyen-long terme qui, si elles ne sont pas assurées aujourd’hui, seront impossibles à corriger demain et après-demain ». Ce rapport d’information sur la base industrielle et technologique de défense (« L’industrie de défense dans l’œil du cyclone ») des sénateurs de la commission des affaires étrangères et de la défense, Pascal Allizard (Les Républicains) et Michel Boutant (PS), cerne de façon très précise les dangers qui pèsent sur l’industrie de défense française, une « industrie d’innovation, qui emploie plus de 200.000 personnes en France et (qui) constitue l’un des seuls excédents commerciaux de notre pays ».

Surtout, la BITD, « un des derniers écosystèmes industriels français », joue « dans les cinq ans qui viennent » sa « survie », estiment les deux auteurs. C’est également un instrument de souveraineté de la France. Ce n’est donc pas le moment du gouvernement de baisser la garde au moment où les menaces se renforcent partout, comme la marine a pu le constater début juin en mer Méditerranée face à des navires de guerre turcs. « Dans ces conditions, tout relâchement de l’effort de défense conduirait, à une échéance sans doute bien plus rapide qu’on ne l’imagine habituellement, à un nivellement de l’avantage technologique de nos forces, voire à un handicap technologique qui limiterait nos options et notre liberté d’action », préviennent-ils.

La menace : sacrifier l’avenir pour sauver le présent

Face à la crise sanitaire, suivie d’une crise économique sans précédent, la BITD est « réellement dans l’œil du cyclone, estiment Pascal Allizard et Michel Boutant. Elle a subi le premier choc, et l’a, en apparence, plutôt bien encaissé. Mais les vraies difficultés sont devant nous. Il faut en avoir conscience ». Selon les deux sénateurs, « dès maintenant, et plus encore dans les mois qui viennent, beaucoup d’entreprises de la BITD vont lutter pour leur survie, et en particulier les plus duales d’entre elles, car cette crise frappe d’abord l’activité civile ». Les grands maîtres d’œuvres sont à la merci d’une défaillance de leur chaine d’approvisionnement (supply chain).

« Si les maillons de leurs chaînes d’approvisionnement cassent, ils peuvent se retrouver en grande difficulté : c’est le risque d’un effet dominos », affirment-ils.

Ce qui leur fait dire que le caractère dual (civil et militaire) de cette industrie « l’expose aujourd’hui violemment à la crise ». Notamment des groupes comme Safran et Airbus, et par ricochet, toute la chaine d’approvisionnement, composée de nombreuses ETI, PME et TPE. La tentation pour ces entreprises serait de sacrifier les les investissements R&D pour préserver le court terme. « C’est là, la principale menace, silencieuse et d’abord indolore, qui plane sur la BITD : être obligé de sacrifier l’avenir pour sauver le présent », estiment les deux sénateurs.

L’heure de vérité

Le rapport montre la nécessité d’un effort d’investissement de défense important de l’État et d’une capacité à exporter, les achats de l’État étant loin de permettre, à eux seuls, d’équilibrer le modèle économique des entreprises de la BITD. Pour rester à un niveau technologique d’excellence où se trouve encore la BITD française, trois échéances seront cruciales, selon le rapport : le plan de relance, le projet de loi de finances pour 2021 et l’actualisation de la loi de programmation militaire. C’est donc avant tout une question de volonté politique. Là où il y a une volonté, il y a un chemin pour reprendre la célèbre expression de Lénine… Les deux sénateurs craignent que l’effort de défense soit à nouveau « le grand sacrifié des périodes de disette budgétaire ».

Le nouveau gouvernement devrait annoncer après l’été un plan de relance. « Il est fondamental que ce plan comporte un volet spécifique pour la BITD, soulignent Pascal Allizard et Michel Boutant. (…) Les entreprises de la BITD qui disparaîtraient faute de relance ne seront pas remplacées ». Par ailleurs, en dépit de la dégradation des finances publiques, les deux sénateurs attendent du projet de loi de finances pour 2021 qu’il respecte la trajectoire de la loi de programmation militaire (LPM), et qu’il vienne, « partout où cela est possible, la compléter et l’enrichi ». Enfin, la LPM, qui doit être actualisée l’an prochain, pourrait « un moment majeur, permettant d’apprécier la vision stratégique du gouvernement et sa capacité à honorer les engagements pris devant la France ». Car, avertissent-ils, « dans ce contexte perturbé et dangereux, baisser la garde serait un contresens stratégique terrible ».

« Il faudra avoir le courage d’aborder ce moment avec ambition, et donc le courage d’expliquer aux Français pourquoi une intensification de notre effort de défense est indispensable, si nous voulons pouvoir défendre nos intérêts aujourd’hui, et assurer notre sécurité demain », affirment-ils.

Des mécanismes pour mieux protéger les pépites

Enfin, les deux sénateurs plaident pour la mise en place d’outils adéquats pour financer le développement des entreprises (fonds stratégique capable de prendre des participations dans de grosses ETI d’une part et dispositifs permettant d’autoriser les prises de participation étrangères en préservant notre souveraineté). Pour les deux sénateurs, « la France aurait tout à gagner à développer un ou plusieurs fonds souverains à vocation stratégique, pour permettre la croissance de ses pépites technologiques ».

Impossible par exemple pour les fonds de défense du ministère des Armées de reprendre Photonis (550 millions de dollars). la France devrait s’inspirer des États-Unis avec en particulier le mécanisme de Special Security Agreement (SSA), qui permet à un investisseur d’être représenté au conseil d’administration mais n’a pas accès aux informations classifiées. « Lorsque l’on compare le cadre légal et réglementaire de protection de la souveraineté en France et dans d’autres pays amis, comme les États-Unis ou même le Royaume-Uni ou l’Allemagne, on a parfois l’impression d’une troublante innocence française », estiment-ils. Il n’est que temps de changer notre mode de pensée. D’autant que la BITD est devenue très à la mode, surtout depuis que Benjamin Griveaux, s’est vu confier une mission sur cette thématique peu connue du grand public.

 

Cabirol, M. (2020b, juillet 12). La base industrielle et technologique de défense « dans l’oeil du cyclone » et donc « en danger » (1/3). La Tribune. https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/la-base-industrielle-et-technologique-de-defense-dans-l-oeil-du-cyclone-et-donc-en-danger-1-3-852587.html