Quand les banques françaises lâchent de plus en plus l’industrie de défense (2/3)

Quand les banques françaises lâchent de plus en plus l’industrie de défense (2/3)

« Au nom d’une application extensive et dévoyée des règles de conformité réglementaire (compliance), de nombreux acteurs français de la finance refusent de financer le développement des entreprises de la BITD, brisant le cycle normal de croissance des entreprises »

Auteurs d’un rapport d’information sur l’industrie de défense, les sénateurs Pascal Allizard et Michel Boutant ont constaté que les banques ne jouaient plus leur rôle économique et social de financement auprès des industriels de la défense. Ce qui pose un sacré problème à la filière.

C’est un lâchage silencieux mais de plus en plus généralisé. Les banques jouent de moins en moins leur rôle de financement des industries de défense. C’est ce qu’ont constaté les deux sénateurs de la commission des affaires étrangères et de la défense, Pascal Allizard (Les Républicains) et Michel Boutant (PS), auteurs d’un rapport d’information sur la base industrielle et technologique de défense ou BITD (« L’industrie de défense dans l’œil du cyclone ») : « A de nombreuses reprises au cours de la préparation de ce rapport, notre attention a été appelée sur le fait qu’en matière d’industrie de défense, les banques ne jouent pas leur rôle économique et social de financement de l’activité économique ». Cette « coupable carence des banques » et ce « dévoiement des règles de compliance » est bien souvent à l’origine de situations trop fréquentes dans lesquelles des pépites technologiques françaises passent sous contrôle étranger, par défaut de financement français.

« Il convient d’insister sur le traitement particulièrement défavorable dont font l’objet les entreprises de la BITD, observent les deux sénateurs. Au nom d’une application extensive et dévoyée des règles de conformité réglementaire (compliance), de nombreux acteurs français de la finance refusent de financer le développement des entreprises de la BITD, brisant le cycle normal de croissance des entreprises ».

Le cas Manurhin, le leader mondial dans la fabrication de machines de cartoucherie, qui exportait 100% de sa production, est exemplaire de la frilosité excessive des banques. En 2016, le président du directoire de Manurhin, Rémy Thannberger, avait poussé un coup de gueule. Il estimait que les banques françaises ne jouaient pas le jeu à l’époque. « Elles sont réticentes à financer nos opérations de défense à l’exportation, avait-il expliqué à La Tribune. C’est l’une de mes principales préoccupations. A moyen et long terme, ce sera un vrai problème structurel pour développer Manurhin, qui est aujourd’hui le leader mondial dans son domaine ». Un coup de gueule vain puisque les banques n’ont pas pour autant financé Manurhin, qui a été finalement racheté au tribunal de commerce par un groupe émirati EDIC (Emirates Defence Industries Company) en 2018.
Fragilisation de la BITD française

La France se distingue de ses principaux concurrents par la difficulté des entreprises de défense à accéder à des financements privés. « Cette situation fragilise d’autant plus les entreprises de la BITD que celles-ci sont le plus souvent inscrite dans des cycles de R&D, puis de production, de long terme, qui nécessitent des investissements importants et dans la durée », rappellent Pascal Allizard et Michel Boutant. Cette situation est souvent à l’origine de « situations trop fréquentes dans lesquelles des pépites technologiques françaises passent sous contrôle étranger, par défaut de financement français ».

Selon les auteurs du rapport, il n’existe pas de fonds spécialisés de surface suffisante pour investir de façon significative et diversifiée dans les PME et ETI de défense. Il n’existe pas non plus d’offre bancaire directe à la hauteur des enjeux « à la différence par exemple de ce qui existe en Allemagne, où les banques régionales ont vocation à soutenir les entreprises de leur territoire, y compris naturellement les entreprises de défense », constatent-ils.
Une lacune majeure

Ce dysfonctionnement majeur laisse pour le moment l’État et le ministère des Armées sans aucune solution satisfaisante. Car les dispositifs spécialisés (ASTRID, RAPID et le fonds Definvest) sont incapables de protéger une PME comme Photonis (150 millions de chiffre d’affaires) dans le viseur du groupe américain Teledyne, qui a mis sur la table 550 millions de dollars. L’enveloppe du fonds Definvest était jusqu’à présent de 50 millions d’euros sur cinq ans. La ministre des Armées Florence Parly a annoncé le 9 juin 2020 son intention de doubler cette enveloppe pour la faire passer à 100 millions d’euros, et ce en réponse à la fragilisation des entreprises par la crise du Covid-19. « Cette augmentation est bienvenue. Toutefois, le dispositif reste très inférieur aux besoins de cette partie de la BITD », estiment les deux sénateurs.

Et ce n’est pas non plus le fonds Definnov (200 millions sur 5 ans), en cours de préparation par l’Agence d’innovation défense (AID), qui pourra combler cette défaillance majeure. Selon les sénateurs, la participation à des tours de table de 100 à 150 millions d’euros pourrait monter jusqu’à 20 millions d’euros… « Ce projet montre que le ministère des Armées, et notamment l’AID, ont reconnu la réalité du besoin, ce dont il faut se réjouir. Il faut malheureusement craindre que cette enveloppe, bienvenue, soit là encore très inférieure aux besoins », constatent Pascal Allizard et Michel Boutant.

 

Cabirol, M. (2020, 12 juillet). Quand les banques françaises lâchent de plus en plus l’industrie de défense (2/3). La Tribune. https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/quand-les-banques-francaises-lachent-de-plus-en-plus-l-industrie-de-defense-2-3-852609.html