Bilan de Florence PARLY : des coopérations avec l’Allemagne dans l’impasse ? (2/5)

Bilan de Florence PARLY : des coopérations avec l’Allemagne dans l’impasse ? (2/5)

La ministre des Armées Florence Parly et Ursula Von Der Leyen, alors ministre de la Défense allemande, en visite sur le site de Safran à Gennevilliers en février 2019 dans le cadre du programme SCAF.

En cinq ans à l’Hôtel de Brienne, Florence Parly a su bénéficier d’un alignement des planètes pour effectuer un passage remarqué au ministère des Armées dans un contexte de crises et de tensions inédites. Exportations, budgets et préservation de la BITD ont été au cœur de la réussite de son bilan économique et financier. Mais elle a échoué à bâtir des coopérations solides avec la très versatile Allemagne. Enfin, en matière d’innovation, la ministre n’est pas allée aussi loin, aussi haut et aussi fort que les enjeux cruciaux l’exigeaient. Deuxième volet de cette série, les promesses non tenues de l’Allemagne en matière de coopération.

A quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle (10 avril), le verre n’est ni à moitié vide, ni à moitié plein, il est pratiquement vide par la faute principalement de Berlin. Sur l’ensemble des cinq grands programmes (SCAF, MGCS, MAWS, Tigre Mark 3 armé du missile tactique air-sol, Eurodrone) (1) lancés lors du conseil franco-allemand à l’Élysée en juillet 2017 par Angela Merkel et Emmanuel Macron, seul le drone MALE européen, sous leadership allemand, a réellement décollé dans le cadre de la coopération entre Paris et Berlin. Mais que de péripéties et d’énergie pour lancer un programme à quatre pays (Allemagne, Espagne, France et Italie), qui est pourtant loin d’être d’une complexité incroyable.

Sur tous ces dossiers de coopération, la ministre des Armées Florence Parly et ses équipes ont été souvent contraintes de naviguer à vue au quotidien pour à la fois préserver au mieux les intérêts industriels de la France, l’esprit de la coopération et une certaine idée de l’Europe de la défense, poussée inlassablement par Paris. Idée qui n’est d’ailleurs pas partagée par les pays européens, préférant l’OTAN pour la défense de l’Europe. La mission de Florence Parly était quasi impossible face à un partenaire allemand aussi versatile et centré sur ses propres intérêts industriels mais aussi géopolitiques au profit des États-Unis. La France n’est restée qu’une partenaire parmi d’autres pour l’Allemagne. Ni plus, ni moins. L’invasion de la Russie en Ukraine pourrait peut-être avoir changé le logiciel de l’Allemagne.

Eurodrone, une gestation incroyablement longue

Ce programme a été longtemps ralenti par d’interminables négociations sur les performances et les prix du système entre Airbus et la France, puis par la validation budgétaire tout aussi interminable de ce projet par les quatre pays partenaires. En définitive, l’Organisation Conjointe de Coopération en matière d’Armement (OCCAr) a notifié le 24 février à Airbus, en tant que maître d’œuvre du programme, un contrat d’une valeur de 7 milliards d’euros portant sur le développement et la production de 20 systèmes Eurodrone (soit 60 vecteurs aériens).

L’Europe a enfin un programme de drone MALE souverain. Enfin presque. Airbus a choisi un moteur italo-américain (3% de l’enveloppe globale du programme) produit exclusivement par quatre filiales du géant américain General Electric, dont notamment la filiale italienne Avio Aero. Un programme qui laisse un goût amer tant sur la performance (limité en vitesse et en plafond), sur la double motorisation exigée par Berlin et le calendrier (première livraison attendue en 2028) de ce programme lancé pratiquement en catimini le 24 février. Pas de ministres, pas de PDG des groupes Airbus, Dassault Aviation, Leonardo et Indra pour célébrer un programme européen, trois jours après le début de l’invasion militaire de la Russie en Ukraine.

MAST-F, Tigre et MAWS, touchés-coulés ?

A l’exception de l’Eurodrone, les autres programmes annoncés lors du conseil franco-allemand de juillet 2017 ont été au mieux très ralentis (SCAF, MGCS), au pire quasi-abandonnés par l’Allemagne (MAWS, Tigre Mk3, missile du Tigre). Pourquoi un tel échec alors que les deux principaux pays en matière d’industrie de défense en Europe (hors Grande-Bretagne) avaient tout intérêt à réussir ces ambitieux projets de coopération ? Berlin porte une grande part de responsabilité dans cet échec. Elle a progressivement détricoté en grande partie les ambitions du conseil franco-allemand de 2017. Dès 2018, elle a d’ailleurs claqué la porte à la France sur le programme de missile air-sol terrestre futur (MAST-F) développé par MBDA et destiné à armer le Tigre Mark 3. Elle lui a préféré la germanisation du missile israélien Spike. Résultat, la France est en train de développer seule le missile MHT (Missile Haut de Trame).

Avant l’annonce du 27 février du  nouveau chancelier allemand Olaf Scholz d’augmenter significativement le budget de la défense, l’Allemagne semblait également prête à abandonner le Tigre. Que va-t-elle faire maintenant : monter dans le Tigre Mk3 ? Ce programme emblématique de la coopération franco-allemande garde un potentiel de vie opérationnelle jusqu’à l’horizon de 2045. La France et l’Espagne attendent la décision définitive de l’Allemagne, où les voyants sont à l’orange rougissant. Lassées d’attendre la réponse de Berlin, Paris et Madrid ont lancé début mars le Tigre Mark 3. La porte reste encore ouverte à l’Allemagne, qui a une flotte de 53 appareils opérationnels, jusqu’à mi-2022 pour monter à bord de ce programme de modernisation.

Enfin, coup de tonnerre, l’Allemagne, sans en avertir la France, décide en 2021 d’acheter cinq avions de patrouille maritime américains, des P-8A Poseidon de Boeing. Et ce, en dépit d’une proposition française portant sur une solution de transition pour les forces armées allemandes (prêt d’Atlantique 2), afin de ne pas compromettre le programme MAWS. La décision semble avoir définitivement torpillé ce programme. Il est donc loin le temps où l’Allemagne et la France, en juillet 2017 à l’Élysée, avaient convenu de chercher « une solution européenne » en matière de système de patrouille maritime « afin de remplacer leurs capacités actuelles respectives ». A Paris, certains estiment que le coup est encore jouable. Pour deux raisons : Berlin a fait passer à Paris des messages positifs pour cette coopération (à prendre toutefois avec prudence), et la cellule du P-8A Poseidon est un Boeing 737, et non un 737 Max.

SCAF et MGCS relancés par Olaf Scholz ?

Enfin, les deux grands programmes de la coopération franco-allemande (SCAF et MGCS), aujourd’hui à l’arrêt, sont relancés par les annonces d’Olaf Scholz. Le chancelier allemand a été clair. « Il est important pour moi, par exemple, que nous construisions la prochaine génération d’avions de combat et de chars avec des partenaires européens – et la France en particulier – ici en Europe. Ces projets sont notre priorité absolue », a-t-il annoncé le 27 février. Quelles initiatives va prendre l’Allemagne pour relancer ces deux programmes ? Les Allemands vont déjà devoir attendre au mieux fin avril après l’issue du deuxième tour de l’élection présidentielle française (24 avril).

Sur le SCAF, la ligne est coupée depuis le début d’année entre Airbus et Dassault Aviation. L’avionneur français ne souhaite ni céder, ni partager son leadership sur la technologie des commandes de vol et de la furtivité du futur avion de combat (Next Generation Fighter, NGF). Au niveau des États, l’Allemagne, l’Espagne et la France ont signé l’accord intergouvernemental pour la poursuite du SCAF jusqu’au premier vol du démonstrateur en 2027 (phases 1B et 2). En revanche, sur le MGCS, de récentes initiatives ont permis de relancer un petit peu le programme, dont l’organisation reste très complexe entre les différents industriels : Nexter, Krauss-Maffei Wegmann, Rheinmetall, voire Thales, qui tente actuellement de rentrer par la fenêtre en proposant la couche « système de systèmes ».

 

Cabirol, M. (2022b, mars 30). Bilan de Florence Parly : des coopérations avec l’ ; Allemagne dans l’ ; impasse ? (2/5). La Tribune. Consulté le 7 avril 2022, à l’adresse https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/bilan-de-florence-parly-des-cooperations-avec-l-allemagne-dans-l-impasse-2-5-906751.html