« L’engagement syndical crée des espaces de confiance »

« L’engagement syndical crée des espaces de confiance »

Président confédéral, François HOMMERIL passe en revue la riche actualité de la rentrée sociale.

Conseil national de la refondation, loi retraites, négociations Agirc-Arrco et assurance chômage, corpus syndical de la CFE-CGC, élections CSE…


Emmanuel Macron réunit ce jeudi le Conseil national de la refondation (CNR). Pourquoi la CFE-CGC n’y participe pas ?

Quand j’ai reçu l’invitation, mon premier réflexe a été de me dire : « On va voir… puisque le contexte est différent… ». Puis à la réflexion, je suis arrivé à la conclusion que cette réunion n’avait pas plus d’intérêt que les précédentes. C’est la troisième réunion du CNR convoquée par le président de la République et les mêmes raisons produisent les mêmes effets. Tout cela est de l’écran de fumée et, outre que cette captation de l’acronyme du Conseil national de la résistance est grossière, cela ne nous intéresse pas d’être sur la photo imaginée par les communicants de l’Élysée. Je ne vois pas ce qu’il y a de nouveau qui permettrait de valider notre participation à ce non-événement, d’autant que par ailleurs, une conférence sociale est prévue à laquelle nous allons participer de manière extrêmement dynamique pour y peser de tout notre poids.

Au gré de la publication au compte-goutte des décrets d’application, la loi retraites est entrée en vigueur depuis le 1er septembre. Que peut-on en dire ?

Il se passe malheureusement tout ce que l’on avait prévu et cela nous est confirmé par nos délégués syndicaux et administrateurs dans les organismes de Sécurité sociale. Le fait que l’exécutif ait choisi comme véhicule législatif un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale (PLFSS) qui impose une mise en œuvre de la loi dès l’année où elle est promulguée – fait unique dans l’histoire des réformes des retraites – conduit à de sérieuses difficultés. Cela occasionne un énorme travail, de la souffrance et des démissions chez les personnels des CARSAT et de la CNAV. On fait lanterner les retraitables à qui on ne répond pas ou mal aux interrogations, par exemple concernant la clause de sauvegarde permettant à certains assurés, nés entre septembre 1961 et fin 1963, de continuer à bénéficier des anciennes règles pour les départs anticipés pour carrières longues. En l’état, il n’y a pas toutes les garanties que soient appliqués les droits attachés aux personnes (environ 800 000 départs à la retraite par an).

« La séquence retraites, avec l’adhésion très majoritaire de la population à nos actions, a généré un regain d’intérêt et d’adhésion au syndicalisme »

Après une crise sociale historique, quels débouchés désormais pour l’intersyndicale, outre la prochaine mobilisation du 13 octobre ?

Notre volonté commune est de maintenir cette intersyndicale retraites qui représente quelque chose d’important et de symbolique, un bien qui nous est propre quand bien même elle s’épuisera au fil du temps et que chaque organisation conservera toute sa liberté à exprimer ses analyses et revendications. Le fonctionnement de l’intersyndicale et le rapport de force instauré nous ont permis d’atteindre un haut niveau de maturité et d’intelligence collective, de mieux travailler en amont les dossiers sociaux. La séquence retraites, avec l’adhésion très majoritaire de la population à nos actions, a généré un regain d’intérêt et d’adhésion au syndicalisme. Il s’agit de ne pas décevoir ces millions de gens qui nous ont fait confiance. Raison pour laquelle notre dernier communiqué met en avant les priorités que sont les salaires, le pouvoir d’achat et le partage de la valeur. Ces sujets sont liés aux retraites dans la mesure où la problématique n’est pas celle des dépenses, maitrisées à long terme dans toutes les prévisions, mais celle des ressources, menacées par les politiques publiques et par la baisse de la part des salaires dans le PIB.

Comment se passent vos échanges avec les nouvelles leaders de la CGT et de la CFDT ?

Sophie Binet et Marylise Léon sont des personnalités qui par leur parcours et leur charisme donnent une bonne image du syndicalisme. Indépendamment des personnes, il s’agit, en toutes circonstances, de respecter ses interlocuteurs et les organisations qu’il y a derrière, notamment la cohorte de militants engagés et sincères – comme ceux de la CFE-CGC.

Du côté de Patrick Martin, nouveau président du Medef, peut-on espérer un infléchissement ?

Ce qui est important, c’est de savoir quel est le mandat de Patrick Martin. Si c’est de réclamer en permanence des aides gouvernementales et la baisse des cotisations sociales, il n’y aura pas grand-chose de nouveau. Si en revanche, il veut avec nous recréer du dialogue, de la construction, de la norme, faire cause commune pour un paritarisme utile et essayer d’endiguer la marche en avant de ce gouvernement qui a tendance à tout détruire partout où il passe, alors nous travaillerons ensemble. Mais j’attends de voir.

Les organisations syndicales et patronales représentatives ont débuté le 5 septembre une négociation sur l’Agirc-Arrco, le régime de retraite complémentaire des salariés. Quels en sont les enjeux ?

Il s’agit de définir les orientations stratégiques de l’instance paritaire pour les 4 ans à venir, notamment les valeurs d’achat et de service du point. Sur le bonus-malus, nous devons décider du maintien ou de la suppression des coefficients majorants et minorants, un mécanisme entré en vigueur en 2019. Après la réforme des retraites, la CFE-CGC et l’ensemble des organisations syndicales veulent faire disparaître rapidement cette décote, qui n’a plus lieu d’être (ndlr : une décote provisoire de 10 % pendant 3 ans est actuellement appliquée à la pension complémentaire dans le cas d’un départ en retraite à l’âge du taux plein). La négociation s’annonce pointue car la partie patronale va vouloir diminuer les cotisations quand l’État, de son côté, souhaiterait capter tout ou partie des réserves du régime (ndlr : près de 70 milliards d’euros). Une baisse des cotisations patronales constituerait pour nous une ligne rouge absolue.

Les partenaires sociaux vont négocier une nouvelle convention d’assurance chômage sur les règles qui s’appliqueront au 1er janvier 2024. Qu’en est-il de la lettre de cadrage gouvernemental ?

En fait, il n’y a aucune marge de manœuvre et je suis très déçu, même un peu amer, parce que je considère que Matignon et le ministère du Travail ont trahi leur parole. Autant en bilatérales qu’en multilatérales, ils nous avaient, non pas promis, mais indiqué qu’ils nous laisseraient relativement libres pour négocier les voies et les conditions de la nouvelle convention d’assurance chômage. Et puis, en fait, rien n’a changé : la lettre de cadrage est extrêmement contraignante, ce qui n’aide pas à la négociation.

« La dégressivité des allocations chômage est une mesure populiste, volontairement discriminatoire et totalement inefficace »

Il avait été question d’une évolution possible sur la dégressivité des allocations, combattue de longue date par la CFE-CGC. Qu’en est-il ?

À ce stade, et c’est insupportable pour nous, l’exécutif continue de vouloir imposer cette dégressivité à ceux qui financent le plus la solidarité du régime, c’est-à-dire principalement les cadres. Il faut rappeler que s’il existe un dispositif d’assurance-chômage qui permet d’assurer des allocations à ceux qui sont éloignés de l’emploi, c’est parce qu’il est assis sur un principe de solidarité inter-catégorielle qui mobilise 10 milliards d’euros par an collectés sur les salaires des membres de l’encadrement. Dès lors, imposer des conditions de dégressivité à ceux qui sont les plus grands contributeurs nets du régime est inacceptable. C’est une mesure populiste, volontairement discriminatoire et dont il est démontré qu’elle est totalement inefficace.

Quelles sont les priorités de la CFE-CGC en cette rentrée sociale ?

Nous allons continuer à travailler et à appliquer tous les sujets contenus dans notre document militant Restaurer la confiance, le concentré le plus élaboré de notre corpus syndical avec de nombreuses propositions sur tous les champs sociaux-économiques pour faire progresser la société. Nous allons particulièrement travailler la question de l’emploi des seniors en vue d’une prochaine négociation, et je vais moi-même rencontrer beaucoup de nos structures (fédérations, sections). Pour la CFE-CGC, il faut sortir de ce schéma qui fait que les entreprises ne s’intéressent qu’au coût et non à la valeur apportée et produite par les salariés dans leur dernière partie de carrière. L’objectif de se séparer bêtement et automatiquement des seniors par des plans sociaux et de les faire stationner par Pôle emploi jusqu’à la retraite n’est pas acceptable, ni économiquement ni socialement.

« Grâce à ses sections et ses militants, la CFE-CGC est toujours dans une dynamique positive et en croissance »

2023 marque le renouvellement de très nombreux comités sociaux et économiques (CSE) dans les entreprises. Quelles sont les premières tendances du terrain ?

Nous avons des retours qui nous indiquent que la CFE-CGC est toujours dans une dynamique positive et en croissance. Il faut envoyer un message d’encouragement à toutes les sections et à nos militants pour le formidable travail fait au quotidien. Ce travail n’est pas facile et leur mérite est immense alors même que les moyens mis à disposition des représentants du personnel ont diminué avec les ordonnances Macron. Dans une société qui doute, l’engagement syndical intelligent, comme celui de la CFE-CGC, est une des voies par laquelle on crée des espaces de confiance pour les collègues et pour les militants eux-mêmes.

 

Propos recueillis par Mathieu Bahuet et Gilles Lockhart