Le patronat réclame le maintien de la retraite par répartition pour les hauts salaires
6 février 2020
Le plafond du futur système universel de retraite doit être fixé à 120.000 euros de revenus annuels, ce qui contraindra les actifs les mieux payés à recourir à la capitalisation pour compléter leur pension. Les employeurs, loin de s’en réjouir, craignent une perte de compétitivité et des coûts cachés.
Branle-bas de combat dans les milieux patronaux. La réforme des retraites inquiète les entreprises qui emploient des cadres gagnant plus de trois plafonds de la Sécurité sociale, soit 120.000 € par an. Alors que ceux-ci cotisent actuellement jusqu’à huit fois le plafond (329.000 €) pour la retraite (à l’Agirc-Arrco), ce qui leur permet de toucher une pension élevée dans le système par répartition, il ne leur restera plus demain qu’une cotisation de solidarité déplafonnée de 2,81 % ne leur donnant aucun droit à retraite au-dessus de 120.000 € de revenus. « Pour le top management, ça peut signifier un taux de remplacement à la retraite divisé par deux », remarque un représentant patronal, sidéré.
« On aura un problème d’employeur pour ces gens-là », « qui sont extrêmement mobiles » parce qu’ « ils ont la chance d’être employés partout dans le monde », a alerté le président du Medef, Geoffroy ROUX de Bézieux, mercredi, devant les députés de la commission spéciale sur les retraites de l’Assemblée, évoquant un « problème de compétitivité ».
Certes, la cotisation patronale va chuter de 16,68 % à 1,69 % sur cette tranche de revenus, avec de grosses économies à la clé. Mais les entreprises n’en profiteront pas forcément, car ces salariés devraient se tourner vers leur employeur pour obtenir des compensations. Ces augmentations, primes ou abondements risquent de leur coûter plus cher en fin de compte, parce que les entreprises devront payer des cotisations dessus, sans déductibilité fiscale.
Afep et CGT
D’où la mobilisation qui s’est accentuée ces derniers jours des milieux patronaux. Une poussée de fièvre qui a surpris l’exécutif, alors que l’arbitrage sur le seuil des 120.000 € date de plus d’un an, et que le Medef n’avait guère réagi. Le gouvernement avait en revanche anticipé que les entreprises bondiraient sur l’occasion pour demander des avantages fiscaux et sociaux supplémentaires pour l’épargne-retraite. Le projet de loi sur les retraites ouvre d’ailleurs la voie à ces aménagements pour les « super cadres ». Mais cela ne suffit pas.
Certaines fédérations professionnelles, telle la métallurgie (UIMM), vont jusqu’à réclamer le maintien du plafond de 329.000 € pour les cotisations. S’alignant de facto sur la position de syndicats comme la CGC ou la… CGT. Cette dernière a d’autres motivations : elle veut préserver un système par répartition le plus large possible, afin de ne pas attirer les fonds de pension en France.
Le gouvernement répond aussi qu’il a prévu une transition de baisse des cotisations qui pourra s’étaler sur vingt ans, dont les modalités seront établies avec les partenaires sociaux. Les montants en jeu justifient qu’on n’escamote pas trop rapidement ce prélèvement : les 240.000 cadres supérieurs concernés ont versé 3,6 milliards d’euros de cotisations dans cette tranche de revenus en 2018. De plus, l’Agirc-Arrco n’a eu à décaisser « que » 3 milliards pour les pensions dans cette tranche, qui s’avère donc « profitable » pour le régime complémentaire.
La capitalisation impossible
Mais la perspective d’une transition longue n’apaise pas les inquiétudes. « On ne fait pas disparaître le problème en l’étalant dans le temps. Passer de la répartition à la capitalisation, ça veut dire payer deux fois », met en garde une source patronale. Il faut en effet continuer à financer avec les cotisations d’aujourd’hui les retraites contemporaines (répartition), tout en commençant à alimenter son compte d’épargne-retraite pour l’avenir (capitalisation). « On ne peut pas passer à la capitalisation, ce n’est pas possible », a d’ailleurs martelé Geoffroy ROUX de Bézieux devant les députés, sans aller jusqu’à demander le maintien du plafond des 329.000 €. Du côté de l’exécutif, on y voit aussi une manœuvre tactique alors que le patronat craint de voir les entreprises mises à contribution pour garantir le retour à l’équilibre des retraites.
La question des hauts salaires sera d’ailleurs très probablement inscrite à l’agenda de la conférence de financement, installée ce jeudi par le Premier ministre au Conseil économique social et environnemental, pour trois mois. Alors que les partenaires sociaux cherchent 12 milliards d’euros pour combler le déficit du système de retraite en 2027, ils pourraient demander que l’on ne se prive pas de 4 milliards d’euros de cotisations annuelles en 2025. Mais les députés pourraient aussi se saisir du sujet dès la semaine prochaine en commission.