Bilan de Florence PARLY : une remontée en puissance insuffisante dans l’innovation (5/5)

Bilan de Florence PARLY : une remontée en puissance insuffisante dans l’innovation (5/5)

La nouvelle stratégie spatiale de la France est l’une des plus belles réussites de Florence Parly.

En cinq ans à l’Hôtel de Brienne, Florence Parly a su bénéficier d’un alignement des planètes pour effectuer un passage remarqué au ministère des Armées dans un contexte de crises et de tensions inédites. Exportations, budgets et préservation de la BITD ont été au cœur de la réussite de son bilan économique et financier. Mais elle a échoué à bâtir des coopérations solides avec la très versatile Allemagne. Enfin, en matière d’innovation, la ministre n’est pas allée aussi loin, aussi haut et aussi fort que les enjeux cruciaux l’exigeaient. Cinquième et dernier volet de cette série, l’innovation. Une remontée en puissance qui reste encore insuffisante.

Promesse tenue par Florence Parly ! Le ministère des Armées va franchir en 2022 le fameux seuil de 1 milliard d’euros pour les crédits d’études amont (901 millions en 2021). Une barre aussi symbolique qu’importante mais une barre certainement insuffisante au regard des enjeux cruciaux dans l’innovation pour donner aux armées la supériorité opérationnelle, notamment dans la robotique, l’intelligence artificielle, l’informatique quantique, la cryptographie, la génération d’énergie, les armes à effet dirigé, la furtivité, l’hypervélocité, la cyberdéfense et les neurosciences. Des investissements extrêmement vitaux pour que la France garde une certaine autonomie de décision, une des clés majeures de sa souveraineté. L’innovation reste donc la clé pour gagner la guerre avant la guerre. Cinq ans après l’arrivée de Florence Parly à l’Hôtel de Brienne, la France n’a semble-t-il pas décroché mais les prochaines années seront cruciales pour qu’elle continue à tenir son rang.

Cette course à la technologie de rupture dans l’armement implique de plus en plus un effort massif dans la recherche mais aussi dans toutes les formes d’innovations (de rupture, incrémentales, etc…) et dans les entreprises qui innovent. On peut toutefois regretter la frilosité du ministère à investir plus fortement dans l’ONERA, qui devrait être un acteur majeur de la politique de R&T dans la défense. Ce n’est pas le cas, comme l’a encore déploré la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat. En 2022, le ministère va consacrer dans le cadre de son budget annuel 7 milliards d’euros au total dans la R&D ( Recherche et Développement). Le ministère fera un effort au profit de la cyberdéfense, du domaine spatial (646 millions), de la défense NRBC et des études pour les programmes en coopération européenne, dont notamment le Système de combat aérien du futur (SCAF). Il renforce ses moyens (231 millions d’euros) dans le domaine de la cyber avec un coup d’accélérateur dans les ressources humaines (376 nouveaux postes en 2022).

Un effort important dans le spatial

Au crédit de la ministre, la stratégie de la politique spatiale militaire définie en juillet 2019 après celle édictée par son prédécesseur Jean-Yves Le Drian dans le domaine de la cyberdéfense. « Il y a quand même longtemps qu’on n’avait pas vu une telle initiative politique de la part d’un ministre, estime un expert des politiques spatiales. La mise en route et l’exécution ont été forcément un peu plus chaotiques pour beaucoup de raisons, qui se comprennent. Mais avoir pris cette initiative me paraît pouvoir être cité en termes de crédit au bilan de Florence Parly ». Initialement, la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 consacrait déjà plus de 3,6 milliards d’euros au domaine spatial, qui est un enjeu de rivalité entre les grandes puissances. Puis 4,3 milliards dans le cadre de l’actualisation de la loi de programmation militaire décidée en 2021. Cet ajustement a permis de renforcer la politique spatiale avec le lancement du programme ARES (Action et Résilience Spatiale), qui consiste à renforcer nos capacités nationales en matière de surveillance de l’espace.

« Si l’espace a été une nouvelle frontière à franchir, c’est désormais un « nouveau front » que nous devons défendre », avait estimé Florence Parly en 2019 lors de la présentation de la stratégie spatiale militaire.

Outre les grands programmes (CERES, CSO et Syracuse), les startup du NewSpace ont permis de développer quelques pépites. C’est le cas du projet Keraunos, qui consiste à expérimenter dès cette année la transmission de données par une télécommunication satellitaire optique depuis un nano-satellite, conçu et lancé en orbite basse par la startup rennaise des frères Galic, Unseenlabs, et Cailabs. « C’est un beau projet bien doté en termes de financement, avec deux startup, dans lesquelles le ministère, via le fonds Definvest, a investi. Ces deux nouveaux acteurs nous permettent d’avoir une capacité future extrêmement intéressante », explique le directeur de l’Agence de l’Innovation de Défense (AID), Emmanuel Chiva.

L’AID, fer de lance de l’innovation de la défense

Critiquée, l’AID a été voulue dès le départ par Florence Parly comme l’acteur central de la nouvelle stratégie d’innovation du ministère des armées. « Elle va rassembler tous les acteurs du ministère et tous les programmes qui concourent à l’innovation de défense. Elle sera le phare de l’innovation du ministère, ouverte sur l’extérieur et tournée vers l’Europe, visible à l’international. Elle permettra l’expérimentation en boucle courte avec les utilisateurs opérationnels« , avait estimé août 2018 la ministre lors de l’université d’été du MEDEF. Soit une Darpa à la française mais sans avoir vraiment les moyens financiers et humains au regard des enjeux. C’est d’ailleurs pour cela que certaines PME ont la nostalgie de la direction des recherches et études techniques (DRET) de la DGA plus richement dotée à l’époque.

« Nous sommes en train de faire le job sur toutes les technologies. Nous le faisons de manière contrainte avec ce qu’on nous donne mais c’est bien plus que ce qu’on avait avant. Cela nous a permis, par exemple grâce au Fonds innovation défense d’investir dans l’ordinateur quantique au travers de la startup Pasqal, un sujet sur lequel nous n’aurions jamais pu aller directement. Nous sommes obligés de composer avec une LPM limitée mais bien meilleure que précédemment », explique Emmanuel Chiva.

L’AID, qui a référencé 800 startup depuis sa création, contribue également à faire rester les startup en France et donc à se diversifier dans la défense. La création du Fonds innovation défense comble un vide en facilitant le financement des startup, qui veulent se développer mais qui ne trouvent pas de crédit facilement en France. « On va en voir rapidement les fruits dans les années qui viennent avec la création de certaines licornes dans des domaines qui ne sont pas forcément des domaines traditionnels pour des licornes technologiques », assure le patron de l’AID. Au-delà de la protection de la BITD (Base industrielle et technologique de défense), l’AID est aussi un capteur des innovations d’opportunité au bénéfice de tous les utilisateurs finaux : conduite des opérations, équipements, soutiens, fonctionnement, administration. Soit une vingtaine de projets par an qui irriguent les armées.

 

Cabirol, M. (2022e, avril 1). Bilan de Florence Parly : une remontée en puissance insuffisante dans l’ ; innovation (5/5). La Tribune. Consulté le 10 avril 2022, à l’adresse https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/bilan-de-florence-parly-une-remontee-en-puissance-insuffisante-dans-l-innovation-5-5-906776.html