Rafale : les quatre vérités du PDG de Dassault Aviation Eric Trappier

Rafale : les quatre vérités du PDG de Dassault Aviation Eric Trappier

D’ici à 2030, 58 nouveaux Rafale.

En dépit de l’étalement du programme Rafale prévu dans la future loi de programmation militaire, le PDG de Dassault Aviation Eric Trappier estime que l’avionneur est capable d’accélérer la cadence de livraison pour la porter à quatre par mois. Il attend également une commande de 42 Rafale d’ici à la fin de l’année.

En dépit d’une loi de programmation militaire (LPM) en forte hausse à 413 milliards d’euros (contre 295 milliards pour la précédente), le ministère des Armées a été contraint d’étaler certains programmes, notamment le Rafale fabriqué par Dassault Aviation. Ainsi, la cible de Rafale de l’armée de l’air prévue par le ministère à l’horizon 2030 passe de 185 à 137 appareils. D’ici à 2030, 58 nouveaux Rafale (45 sur le périmètre de la future LPM) seront livrés à l’armée de l’air. Et en même temps, 17 Rafale seront prélevés sur le parc de l’armée de l’air pour les besoins export au profit de la Grèce et de la Croatie.

L’étalement des livraisons des Rafale aux pilotes de l’armée de l’air s’explique en partie par le coût budgétaire supporté par la France pour compenser les prélèvements de 24 appareils au bénéfice de la Grèce (12 Rafale) et de la Croatie (12). Lors d’une audition devant la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, le PDG de Dassault Aviation Eric Trappier a d’ailleurs confirmé que « l’État ne souhaite pas accélérer (la livraison de Rafale, ndlr) pour des raisons budgétaires dans le domaine des avions de combat ». Pour autant, il a tenu à rappeler que Dassault Aviation avait les capacités de livrer les Rafale « plus tôt »« S’il fallait passer en cadence de 4 avions (par mois, ndlr), nous serions en mesure de le faire », a-t-il assuré aux sénateurs.

« Dans notre usine à Lille qui s’occupe des pièces primaires, il suffit d’accélérer un peu les machines, mettre un peu plus de personnel, faire travailler un peu plus de sous-traitants et nous pouvons augmenter assez facilement les cadences. Le plus compliqué est l’assemblage final, car il faut des surfaces qu’il faut prévoir à l’avance. Mais rien n’est impossible. Nous avons de l’espace à Mérignac et nous savons y augmenter fortement les cadences également », a précisé Eric Trappier.

Économie de guerre : le Rafale « pas concerné »

Dassault Aviation se sent capable d’augmenter la production à condition également « de disposer d’un délai ». Notamment pour mettre la chaîne de sous-traitance en capacité de produire un tel effort, le Rafale donnant de la charge à plus de 400 entreprises tricolores réparties sur tout le territoire français. « Nos sous-traitants souffrent beaucoup, a fait observer Eric Trappier. Il y a des montées en charge dans tous les secteurs de l’industrie. Les petites et moyennes entreprises (PME) ont du mal à recruter. Ces entreprises sont confrontées à un certain nombre de difficultés, dont l’augmentation du prix de l’énergie. Néanmoins, à condition de le prévoir à l’avance, nous serions capables de monter en charge ».

Interrogé sur le concept d’économie de guerre, le PDG de Dassault a estimé qu’il ne s’appliquait pas à son entreprise. « Je le dis très honnêtement, si je dois accélérer je sais accélérer ». Pour preuve, Dassault Aviation est aujourd’hui passé à une cadence de livraison à trois Rafale par mois. « Nous avons augmenté la capacité des chaînes de fabrication du Rafale, en passant de moins d’un appareil à trois appareils par mois, a-t-il rappelé. Nous aurions préféré qu’un lissage ait lieu lorsque la charge de travail était très basse, il y a deux ou trois ans. Aujourd’hui la charge augmente, d’une part grâce à l’export, et d’autre part, grâce aux commandes françaises à hauteur d’un appareil par mois ».

Actuellement, Dassault Aviation est en train de livrer à la France la tranche dite 4T2 (28 appareils), qui a été « longtemps bloquée », a rappelé Eric Trappier. Ainsi, l’armée de l’air a reçu un nouveau Rafale en décembre 2022 après une interruption des livraisons confirmée par l’actuelle LPM à partir de la fin 2018. « Je tiens à rappeler que ce décalage n’est pas une conséquence de l’export mais le résultat d’une décision exclusivement budgétaire. Ce retard de livraison, décidé par le gouvernement et accepté par le Parlement », a rappelé Eric Trappier. Outre la tranche 4T2, Dassault Aviation doit également livrer douze Rafale pour remplacer ceux qui avaient été prélevés pour le compte de la Grèce. Soit 40 appareils en tout. La reprise des livraisons du Rafale va notamment compenser le retrait des Mirage 2000-5 attendu en 2028.

Dans ce cadre, Dassault Aviation va livrer après avoir remis en 2022 un Rafale à l’armée de l’air, 13 appareils en 2023, 13 en 2024, 12 en 2025 et 1 en 2026. « Ce qui viendra clôturer notre carnet de commande actuel pour la France », a souligné le patron de l’avionneur, qui doit également livrer des Rafale aux Émirats Arabes Unis à partir de 2027 (jusqu’en 2030), à l’Égypte, à la Grèce et à l’Indonésie. En 2023, Dassault Aviation a prévu de livrer 15 Rafale (contre 14 en 2022 et 25 en 2021).

Vers un report du standard 5

Dassault Aviation attend une nouvelle commande de 42 avions de la part du ministère des Armées. Elle doit « intervenir en 2023 », a assuré Eric Trappier. Soit 30 Rafale prévus de très longue date (tranche 5) plus les 12 avions pour compenser les appareils d’occasion vendus à la Croatie. « Les échéances de livraison de ces 42 avions sont en cours de discussion. Les appareils arriveront pour l’essentiel à partir de 2029 mais quelques unités pourraient être livrées un peu plus tôt, en 2027 et 2028 », a précisé le patron de Dassault Aviation.

En parallèle de la production, l’avionneur travaille en coopération avec l’Etat, sur les développements du Rafale dans ses prochains standards F4 (combat collaboratif) puis F5 pour l’armée de l’air et la marine. Après avoir été livré début mars, le Rafale F4.1 est en cours d’expérimentation au Centre d’expertise aérienne militaire (CEAM) sur la base aérienne 118 de Mont-de-Marsan. Le standard 5, qui sera la continuation du standard F4, sera défini pendant la LPM et il sera notamment « compatible avec la composante nucléaire aéroportée qui sera renouvelée », a expliqué Eric Trappier.

Un standard qui devrait être décalé dans le temps. « Dassault Aviation avait en tête un standard F5 à l’horizon 2032. La tendance va vers un léger décalage à 2035 », a estimé Eric Trappier. Le standard F5 poursuivra le développement des capacités en matière de combat collaboratif. Pourtant, a-t-il rappelé, « plus on est connecté et plus on est vulnérable. Or, il va falloir être plus connecté et moins vulnérable. C’est ça le grand enjeu des standards à venir ».

« Le calculateur (du Rafale, ndlr) qui est très proche de la mission sera toujours totalement indépendant, c’est le cœur du cœur. Il y aura aussi un certain nombre de calculateurs périphériques qui permettent au pilote d’avoir un peu plus d’informations, mais qui ne se connectent pas vers le cœur du cœur pour éviter les attaques cyber. Sachant que dans le domaine cyber, tout ceux qui affirment qu’il n’y aura pas de problème et qu’ils savent faire à 100 % sont des menteurs. C’est l’épée et le bouclier en période de guerre. Jamais le bouclier n’est sûr à 100 %. L’épée a toujours un avantage. Les attaquants cyber auront toujours un avantage. Donc il faut prévoir le fait qu’ils puissent entrer dans le système, mais faire en sorte qu’ils ne touchent pas le cœur ».

Ukraine : « Dassault n’en tire aucun profit »

Les industriels de l’armement français tirent-ils profit de la guerre en Ukraine ? « En ce qui me concerne, Dassault n’en tire aucun profit, a souligné le patron de l’avionneur. Seuls les États-Unis d’Amérique le font. Toutes les annonces, tous les contrats relatifs aux avions de combat en témoignent : la Slovaquie a exprimé très récemment la volonté d’acheter des F-35, tout comme la Suisse, la Finlande. Je ne crois pas que la Pologne ait appelé à acheter des avions européens ; même des avions coréens sont évoquésDonc ces propos que l’on entend à la radio ou à la télé sont faux. En réalité, ils viennent surtout de certaines organisations non-gouvernementales (ONG) ». Eric Trappier a rappelé que les grands contrats signés au Moyen Orient (Egypte, Qatar, Émirats Arabes Unis), en Europe (Grèce, Croatie) et en Asie (Inde, Indonésie) l’ont été avant la guerre en Ukraine.

Pour autant, Dassault Aviation demeure très actif sur le domaine de l’export même si Eric Trappier n’est pas un grand bavard sur les prospects de l’avionneur dont le fer de lance est désormais le Rafale F4, déjà acheté par les Emirats Arabes Unis. Il a néanmoins cité l’Indonésie, qui a mis en vigueur un contrat de six Rafale sur les 42 commandés en février 2022. Un nouveau contrat pour la livraison de 18 appareils a été signé en février dernier, selon nos informations. La mise en vigueur (acompte après la signature d’un accord sur le financement) est attendue dans les prochaines semaines. Puis, Dassault Aviation fera le forcing pour la mise en vigueur des 18 Rafale restants avant la fin de cette année. « Nous avons démarré avec une commande de 6 Rafale, qui passera à 42 dans les mois qui viennent. C’est le grand travail de l’année 2023 », a-t-il confié aux sénateurs

Il a également évoqué l’Inde. « Nous attendons également des annonces de nos amis indiens. Avec l’Inde il convient d’être patient », a-t-il expliqué. Le Premier ministre indien Narendra Modi, qui devrait être présent en France au moment du 14 juillet, devrait annoncer la volonté de l’Inde d’acheter 26 Rafale marine à la France à l’image de ce qu’il avait fait en avril 2015 lors de sa visite à Paris avec l’acquisition de 36 Rafale prêts à voler. Puis, un contrat pourrait être signé en septembre pour une mise en vigueur fin 2023, voire début 2024. Enfin, il a cité la Colombie en expliquant qu’il avait lu dans le Wall Street Journal que « cela commençait à agacer les Américains que Dassault vende des avions un peu partout. Moi, cela ne m’agace pas, il leur revient d’être meilleurs que nous. L’Amérique du Sud et la Colombie sont des zones auxquelles ils tiennent beaucoup ».

« D’autres prospections sont en cours dans d’autres pays. Je ne vais pas vous parler de pays en particulier mais je peux vous dire qu’il y a un intérêt renforcé pour nos avions car leur utilisation par l’Inde et nos armées démontre bien les capacités du Rafale. Le succès appelle le succès. Quand en plus cet avion est vendu par un pays comme la France, cela a un sens, à travers des partenariats stratégiques notamment. (…) Le monde n’est pas bipolaire, cela nous donne des perspectives d’exportation ».

 

Où l’on reparle du Neuron

Dassault Aviation travaille sur un projet qui porterait sur un drone de combat, en l’occurrence le Neuron, qui accompagnerait et opérerait en liaison avec le Rafale. « Notre idée est de poursuivre dans ce domaine des drones de combat. À ce stade, je ne sais rien vous dire de plus parce que c’est l’État qui a la main sur ce sujet. Nous sommes encore dans des phases d’études et rien n’est contractualisé, loin s’en faut », a expliqué Eric Trappier à la Commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat. Dans le cadre du programme européen SCAF (France, Allemagne et Espagne), il est prévu de développer drones accompagnateurs (remote carrrier), dont la maîtrise d’œuvre a été confiée à Airbus.

Le programme Neuron, qui a été développé dans le cadre d’une coopération européenne (France, Italie, Suède, Espagne, Grèce et Suisse), a été lancé en 2003 mais le contrat principal a été notifié à Dassault Aviation en tant que maître d’œuvre en 2006. Le premier vol du démonstrateur technologique a eu lieu à Istres le 1er décembre 2012, le 100e le 26 février 2015. Le tir d’un armement depuis la soute interne a eu lieu le 2 septembre 2015. « De mémoire, je crois que c’est la seule coopération dont on peut dire qu’elle ait fonctionné, au sens à la fois du calendrier et du budget », a rappelé Eric Trappier.

 

Cabirol, M. (s. d.). Rafale : les quatre vérités du PDG de Dassault Aviation Eric Trappier. La Tribune. https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/rafale-les-quatre-verites-du-pdg-de-dassault-aviation-eric-trappier-963881.html